En 1999, Kamel Daoud, un jeune journaliste d'Oran, a été confronté à la brutalité de la guerre civile en Algérie. Ce conflit a causé plus de 200 000 morts, dont le massacre de Had Chekala, qui a profondément marqué Daoud. Il a choisi d'écrire pour affronter cette réalité, comme il l'explique dans une interview à Madrid pour son roman Huríes, lauréat du Prix Goncourt.
Dans Huríes, l'histoire est narrée par Aube, une femme ayant survécu à un dégollage, qui reste muette. Ce monologue intérieur s'adresse à sa fille à naître, soulevant la question de l'avenir dans un monde hostile. Daoud souligne que la littérature, même lorsqu'elle traite de la réalité, reste symbolique, évoquant la perte de la parole dans son pays.
Il dépeint la situation tragique des femmes algériennes, souvent invisibles à l'extérieur. Selon lui, la perception que le régime projette d'Algérie ne reflète pas la réalité des zones rurales, où l'oppression religieuse est omniprésente. Ce constat est partagé par de nombreux pays islamiques, où les femmes subissent des restrictions similaires.
Le silence s'impose dans le contexte de la décennie noire, une période où une loi a interdit de parler des événements tragiques. Daoud explique que l'oubli peut être temporairement nécessaire, mais qu'il devient dangereux s'il s'étend dans le temps. Il plaide pour que l'Algérie lève cette interdiction afin de permettre aux nouvelles générations de comprendre leur histoire.
Il critique également la glorification de la guerre d'indépendance, tout en occultant le conflit civil. Cette double morale empêche d'affronter les vérités difficiles et d'assumer les conséquences de ces événements tragiques.
Daoud, fervent critique de la réislamisation, déplore la transformation de l'Algérie d'un État laïque à une république de plus en plus religieuse. Il évoque comment les islamistes ont ciblé des ministères clés pour façonner les générations futures. Cette manipulation vise à transformer les citoyens en croyants, renforçant ainsi le contrôle sur la société.
Il souligne également l'importance de la culture et de la langue, qui sont devenues des outils de pouvoir. La politisation de la langue arabe, par exemple, est un moyen d'imposer une vision unique de la société, où toute critique est perçue comme une attaque contre la foi.
Daoud fait face à de nombreuses critiques et menaces en raison de ses opinions. Il note que sa position en tant qu'écrivain lui a valu des ennemis, tant en Algérie qu'en France. Il déclare que les attaques se sont intensifiées, non seulement contre lui, mais aussi contre sa famille, ce qui témoigne de la tension autour de ses écrits.
Malgré ces défis, il reste déterminé à partager son histoire. Il espère que son livre, qui circule clandestinement en Algérie, contribuera à un dialogue nécessaire sur le passé du pays. La publication de Huríes en Espagne est perçue comme un pas important pour la compréhension de ces enjeux.
Kamel Daoud, à travers son œuvre, soulève des questions essentielles sur la mémoire, l'identité et la condition des femmes en Algérie. Son engagement à dénoncer les injustices et à donner une voix aux sans-voix est un acte de courage. En confrontant son passé, il espère ouvrir la voie à un avenir meilleur pour les générations futures.