Les Nigérians vivant à l'étranger élargissent-ils le fossé des classes au pays ? Les périodes de fête en Nigeria ressemblent à un film : des retrouvailles émouvantes dans les aéroports, du champagne à flots dans les clubs haut de gamme, et des performances d'Afrobeats attirant des foules massives. C'est le moment où les Nigérians à l'étranger, surnommés I Just Got Back (IJGB), rentrent chez eux, apportant plus que de simples valises pleines.
Leurs accents occidentaux se mêlent au pidgin, leurs portefeuilles sont gonflés par le taux de change, et leur présence dynamise l'économie. Cependant, cela met en lumière une vérité inconfortable. Ceux qui vivent au Nigeria, gagnant en naira local, se sentent exclus de leurs propres villes. C'est particulièrement vrai dans des lieux comme Lagos et Abuja, où les prix flambent durant les périodes festives.
Les résidents de Lagos évoquent une période appelée "Detty December", où la ville devient presque invivable. Un animateur radio basé à Lagos témoigne des problèmes croissants : la circulation est horrible, les prix s'envolent et les entreprises négligent leurs clients réguliers. Il souligne que ces sentiments ne sont pas isolés et que beaucoup se demandent si les IJGB aident à réduire ou à aggraver le fossé économique.
Le pays, malgré sa richesse pétrolière, fait face à des défis énormes. Selon Oxfam, le fossé de richesse au Nigeria atteint un niveau de crise. En 2023, plus de 10 % de la population possédait plus de 60 % de la richesse du pays. Le rapport de la Banque mondiale indique que 87 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté.
Martins Ifeanacho, professeur de sociologie, note que le fossé des classes s'est élargi depuis l'indépendance de 1960. Il attribue cela à la avidité des élites politiques qui se concentrent sur l'accumulation de pouvoir et de richesse. Les gens ordinaires sont laissés pour compte, ce qui entraîne de grandes difficultés économiques.
La richesse, qu'elle soit réelle ou perçue, influence l'accès aux opportunités. L'animateur radio explique que la mobilité sociale est entravée par la manière dont la richesse est perçue dans la société. Par exemple, dans les restaurants, ceux arrivant dans des voitures de luxe sont rapidement servis, tandis que d'autres sont ignorés.
Face à ces difficultés, de nombreux Nigérians cherchent des opportunités à l'étranger. La Banque mondiale souligne que la création d'emplois est faible, ce qui pousse les jeunes à émigrer. Ce phénomène, connu sous le nom de "japa", signifie "s'échapper" en yoruba. Un sondage de 2022 révèle que 70 % des jeunes Nigérians envisageraient de quitter le pays.
Pour beaucoup, partir n'est pas simple. Les études à l'étranger peuvent coûter cher, sans compter les frais de voyage et de visa. Lulu Okwara, une recruteuse, évoque la pression de réussir dans une culture où l'atteinte des objectifs est attendue. Cette pression pousse les IJGB à prouver leur succès lorsqu'ils rentrent chez eux.
Les IJGB reviennent souvent avec l'espoir d'être accueillis en héros. Professeur Ifeanacho souligne que beaucoup veulent revenir avec des histoires de succès. Cependant, la perception est primordiale, et certains utilisent des accents étrangers pour gravir les échelons sociaux, même sans avoir quitté le pays.
Les accents américains ou britanniques deviennent une sorte de monnaie sociale, facilitant l'accès à divers cercles. Toutefois, des critiques sur les réseaux sociaux suggèrent que certains IJGB ne sont qu'une façade, manquant de véritable pouvoir d'achat. Bizzle Osikoya, propriétaire de The Plug Entertainment, partage son expérience avec des IJGB qui cherchent à récupérer leur argent après des événements.
En somme, la dynamique entre les Nigérians à l'étranger et ceux vivant au pays soulève des questions complexes sur le fossé des classes. Alors que les IJGB apportent une certaine vitalité économique, leur présence met en lumière les inégalités croissantes. Le défi réside dans la recherche d'un équilibre entre célébration et inclusion pour tous les Nigérians.