Durant l'été crucial de 1943, Jean Monnet se promenait souvent à Argel, face à un grand carte de l'Europe. Il réfléchissait à la solution pour la "question allemande" après la guerre. La menace que représentait Berlin pour la paix continentale était évidente. Monnet soulignait alors la nécessité d'intégrer l'Allemagne dans un système de sécurité collective.
Le tournant dans l'équilibre continental a été marqué par la Déclaration Schuman de 1950. Cette déclaration a établi que le charbon et l'acier, piliers de l'industrie militaire, seraient soumis à une autorité supranationale. La création de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) a non seulement neutralisé les ambitions expansionnistes de l'Allemagne, mais a également jeté les bases de l'intégration européenne.
Ce cadre permettait de domestiquer la force allemande sans l'humilier. Cependant, récemment, la "question allemande" a pris une nouvelle forme, presque opposée. Depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, Berlin a fait face à une tempête parfaite qui a fragilisé son modèle économique.
La dépendance de l'Allemagne au gaz russe et au marché chinois a entraîné un effondrement économique. La crise énergétique a fait exploser les coûts, et la dégradation des relations avec les États-Unis a révélé la vulnérabilité stratégique de l'Allemagne. Ce désengagement a conduit à une récession persistante, avec un PIB en baisse de 0,2 % en 2024.
Dans ce contexte, le parti Alternative für Deutschland (AfD) a gagné en popularité. L'Allemagne, moteur de l'Union Européenne, se retrouve dans une position délicate. La question n'est plus de contenir sa puissance, mais de prévenir que sa faiblesse n'entraîne le continent dans la tourmente.
Les élections du 23 février 2025 ont marqué un tournant. Les conservateurs, CDU/CSU, ont remporté 28,6 % des voix, insuffisant pour gouverner seuls. Après avoir exclu un accord avec l'AfD, Merz a négocié avec le SPD, qui a obtenu seulement 16,4 %. Cette coalition, formée en mars, est la plus fragile en décennies.
Les tensions internes sont palpables, avec un SPD divisé et une CDU/CSU sous pression. Le gouvernement "rouge-noir" doit naviguer dans une économie stagnante et une extrême droite en plein essor. Le premier discours de Merz devant le Bundestag a révélé ses ambitions, tout en soulignant les limites de son mandat.
Merz a annoncé une investissement de 150 milliards d'euros dans les infrastructures. Cette initiative vise à renforcer l'armée allemande face à la menace russe. Cependant, cela soulève des inquiétudes quant à la perception du pouvoir de Berlin au sein de l'UE. La France, en proie à ses propres crises, doit être un partenaire actif dans cette entreprise.
Une coopération franco-allemande solide est cruciale pour éviter que le projet commun ne se dissolve. La situation est délicate, avec un gouvernement AfD envisageable en Allemagne et une montée de l'extrême droite en France. Il est urgent de formuler une déclaration de défense qui dépasse les plans actuels.
La "question allemande" continue de façonner le destin de l'Europe. Il est temps d'agir pour surmonter les réticences historiques et les fragilités nationales. L'Allemagne et la France, malgré leurs gouvernements précaires, doivent mener cette initiative, soutenues par la Pologne, le Royaume-Uni et l'Espagne. Le risque de l'inaction est clair : une Europe divisée ne pourra pas faire face à la Russie ni stabiliser son flanc sud. Comme l'a dit Monnet en 1943, la paix mondiale dépend de la paix européenne, et cela passe par la résolution de la "question allemande".